Tes yeux... (Wolf/Olympe)

Coupée du monde extérieur, Olympe se sentait en sécurité dans la chambre d’Augustin. Après les geôles, c’était sans nul doute l’endroit le plus sûr du Pôle. Si bien que lorsque son cousin lui proposa l’hospitalité, la belle ne put la lui refuser. Il en allait de sa survie !

Depuis l’incident, un rien l’effrayait. Ainsi, la belle passait le plus clair de son temps enfermée à double tour dans sa chambre à refaire le monde. Et si Olympe n’avait pas usurpé l’identité de Céleste, si rien ne s’était produit avec Izaya, si les menaces n’avaient jamais été proférées… Avec des si, on mettrait l’Arche en bouteille.
Au bord de la crise de nerf, la belle se laissait couler. Elle ne prenait la peine de descendre que lorsque sa présence était indispensable, comme ce midi, au déjeuner, alors qu’Augustin recevait une délégation de Babel.

Elle était tranquille pour la journée. Du moins, c’est ce qu’elle croyait, car déjà Augustin tambourinait à sa porte. Olympe feint de l’ignorer, mais c’était sans compter son chic pour s’inviter dans l’esprit de cette chère tête blonde.

« Bon sang de bois, qu’avez-vous, vous les femmes, à toujours vous faire prier ?! C’est lassant à la fin.. Cela fait bien trois quart d’heure que je toque à ta porte sans que tu daignes m'ouvrir ! » sur un ton théâtral. « Je donne une soirée en l’honneur de ta retraite à Clairdelune et comme tu t’en doutes ta présence est requise » Un temps. « Et ce n’est pas négociable ! »

« Comme si tu avais besoin d’un prétexte pour organiser une soirée… Si tu continues, bientôt tu organiseras une soirée en l’honneur de toutes les autres ! »

« Dieu que cette enfant est ingrate ! Je t’offre un toit, ainsi que ma protection et c’est comme ça que tu me remercies. Je m’attendais à davantage de reconnaissance de ta part. Je ne te cacherai pas que je suis déçu. »

Déçu. Ce mot lui fit l’effet d’un coup de poignard. Comment pouvait-elle l’avoir déçu ; elle qui lui avait tout donné ?! Absolument tout. Sa jeunesse, son innocence, sa vie… Il n’y a rien qu’elle lui ait refusé et le voilà qui la réprimandait comme on gronde une enfant capricieuse. C’en était trop !

Sa main tremblante se saisit de la poignée pour en déverrouiller le loquet. Un cliquetis puis un grincement strident s’en suivirent. Un regard noir se dessinait dans l’entrebâillement de la porte, alors qu’une main tentait une offensive.
La belle ne se laissa pas démonter pour autant lui faisant front. Il avait peut-être autorité sur sa personne, pas sur ses pensées, ni sur ses émotions.

« Très bien. Comme il siéra à Monsieur l’Ambassadeur… »

« On croirait entendre Céleste. Ne le prend pas sur ce ton s’il te plait ! Pas toi. Pas maintenant. Tu sais pourtant que je ne veux que ton bonheur… » Dit-il tout en prenant un air. « C’est juste que les gens parlent et tu ne voudrais pas leur donner raison. » Un temps. « Je me trompe ? »

Comme toujours, Augustin visait juste. Les gens parlaient et qui sait de quoi ils étaient au courant… Il lui fallait faire face, ne serait-ce que pour contredire ces persiffleurs. Car Olympe pouvait descendre presque aussi vite qu’elle était montée… La cour avait le droit de vie ou de mort sur sa personne, c’est du moins ce que laissait penser les menaces proférées à son encontre. Il ne fallait pas qu’elle leur montre qu’elle pouvait leur accorder du crédit.

« Soit. » souffla-t-elle.

« Là, je te retrouve. » Dit-il tout en lui caressant doucereusement la joue. « Allez, enfile  vite ta plus jolie toilette et efface-moi cette vilaine moue… Nous organisons une fête, pas un enterrement. »

Il lui déposa un pieux baiser sur le front avant de disparaitre par l’encadrement de la porte, laissant Olympe à sa solitude. Il avait encore gagné…

Le regard hagard, elle se laissa tomber de tout son poids sur le lit. Elle se saisit du premier coussin venu et le pressa contre sa bouche avant de hurler, à gorge déployée.

Je te déteste.


Si Olympe n’avait pas le coeur à la fête, elle devait faire bonne figure. Quelque part, dans cette nuée de corps dénudés, se cachait son cousin. Il l’avait à l’oeil et ne souffrirait pas qu’elle se dérobe une fois de plus à ses obligations. Habillée de son plus joli sourire, la belle ondulait à travers la foule, saluant les différents groupes qui se présentaient à elle. Elle savait pertinemment qu’ils n’en avaient qu’après les rumeurs… Avait-elle été agressée, ce matin-là, au Gynécée ? D’aucun prétendait l’avoir entendu crier. Etait-elle défigurée ou avait-elle escamoté toute cette affaire pour fuir ses obligations envers Farouk ? Ils n’en avaient qu’après ses secrets.

Si Olympe affichait un sourire courtois, servant à chaque groupe les mêmes salades, elle rongeait son frein intérieurement. Lasse de cette comédie, elle n’aspirait qu’à retrouver le confort et la sécurité de sa chambre. Ici, elle était beaucoup trop exposée. Si l’Ambassade était un sanctuaire inviolable ; elle ne la protégerait pas d’Izaya. Si par malheur le jeune Mirage l’avait démasqué cette nuit là et qu’il décidait de l’afficher au vu et su de tous ; sa réputation serait perdue à jamais.
Et Olympe savait de source sûre qu’il ferait un saut à la soirée. Augustin s’en était vanté au déjeuner.

L’Ambassadeur ne manquait jamais de rappeler à qui de droit le rôle qu’il avait joué dans la carrière du jeune Illusionniste-Concerts. Il lui devait tout. Il était donc tout naturel qu’il réponde par la présente à la moindre de ses sollicitations. Du moins, ce qu’il croyait…

Ainsi, lorsque Olympe sentit une main tapoter son épaule, elle ne put réprimer un petit cri de stupeur. A la façon dont ses amies se mirent à pépier, nul doute qu’il s’agissait là d’une belle et jeune personne. Pourvu qu’il ne s’agisse pas d’Izaya… se répétait-elle intérieurement tandis qu’elle se tournait pour confondre son assaillant. Fort heureusement, ce n’était que Wolf.

Wolf. Cela faisait bien une vie que ces deux-là ne s’étaient plus vus. Olympe désespérait de le fréquenter à nouveau. Il faut dire que depuis son ascension au Gynécée, les occasions manquaient. Farouk et Augustin lui accaparaient le plus clair de son temps. Entre les promenades, les concerts, les rendez-vous officiels et les soirées… Olympe n’avait plus une minute pour elle ou pour ses proches. Le croiser ici était une véritable bénédiction.

Une fois la stupéfaction passée, Olympe se jeta dans les bras de son ami. Faisant fi des convenances, la belle se blottie contre son torse développé. Wolf n’était plus le petit garçon qu’Olympe avait connu. Il la dépassait à présent d’une tête et son visage semblait s’être émacié avec le temps. Il devait en faire chavirer des coeurs… Mais en cet instant, c’est celui d’Olympe qui menaçait de s’arrêter. Comprimé dans un corset trop serré, il cognait si fort qu’elle peinait à percevoir les paroles de son ami. Elle leva brièvement la tête pour tenter de lire sur ses lèvres.

« … vous m'avez manqué. »

S’enfonçant de plus belle dans/sur son torse, elle ne put retenir ses larmes plus longtemps.  Elle avait besoin de ça. Une épaule sur laquelle pleurer, quelqu’un sur qui compter et qu’importe si demain toute la Citacielle jasait…

« Toi aussi bougre d’andouille. »

Son petit poing serré martelait le torse du jeune loup, tandis qu’un sourire se dessinait sur son visage.

« Vois dans quel état tu mets les femmes. J’espère que tu es fier de toi ! » Les voisines d’Olympe pouffèrent à l’unisson alors que la jeune Toile se dégageait de son étreinte. « Je dois faire peine à voir… » dit-elle tout en essuyant ses yeux opalescents avec le plat de sa main.

« Cela fait quoi… Une vie au moins. »

Les lèvres pincées, elle ne pouvait réprimer un sourire gêné. Olympe était la seule fautive ; elle le savait.

❅❅❅

Son impétuosité ne sembla pas offusquer le Nihiliste, au contraire elle l’amusait. Enfin quelque chose de vrai à la Citacielle ! C’était vivifiant. Mais sous cette apparente franchise se cachait une triste réalité. Il s’en était passé des choses depuis leur dernière rencontre…
Wolf avait quitté un soleil, il retrouvait les ténèbres.

Si les évènements semblaient avoir épargné le caractère de son amie, son âme, elle, n’en était pas moins sombre et torturée. Et cette épiphanie ne saurait défaire six années de tourments…
Parviendrait-il à percer à jour le palais d’illusions dans lequel se terrait Olympe ? Rien que d’y penser, elle frémit. C’était totalement exclu ! Lui qui l’avait toujours mise sur un piédestal et érigeait la droiture et l’honnêteté en valeurs absolues. Elle ne pouvait pas le perdre. Pas maintenant ; alors qu’ils venaient à peine de se retrouver…
Ses sentiments diffus lui rongeaient l’âme et le corps. Par chance, le baiser de Wolf fit place nette dans la tête de notre jolie tête blonde. Lui seul avait le don de la rasséréner.

« Bien trop longtemps… »

Le menton posé contre son poitrail, elle le regardait de ses yeux de cocker.

« Dans ce cas, ne nous quittons plus veux-tu ?! » Un temps. « Tu n’auras qu’à te faire passer pour une de mes caméristes et me rejoindre au Gynécée. Je suis certaine que tu porterais la livrée à merveille. »

La stature de Wolf faisait caisse de résonance, propageant ainsi le rire cristallin de notre ingénue dans toute l’assistance. Cela faisait longtemps qu’Olympe n’avait pas autant ri de bon coeur. Ce qui n’échappa pas à leurs spectatrices. Chaque réaction de sa part serait prétexte à ragot, alors autant leur en donner pour leur argent  

« Sans parler des …» chuchota-t-elle tout en fendant l’air pour y dessiner des courbes féminines. Son mime était brouillon, mais assez précis pour que ces petits camarades comprennent à quoi elle faisait allusion.

Entre rires et moues gênées, Olympe exultait. Toutefois, ce moment de liesse fut de courte durée.
Car lorsqu’elle aperçut la chevelure bouclée d’Izaya dominer l’assemblée, son regard s’assombrit. Il était grand temps pour elle de s’éclipser. Elle balaya le salon du regard en quête d’une échappatoire. S’ils s’y prenaient correctement, ils pourraient atteindre le boudoir sans croiser le Mirage, mais ils devraient pour ça couper à travers foule et se fondre parmi le parquet de danseurs.

« Mesdemoiselles, j’ai bien peur de devoir vous faire faux bond. J’ai à m’entretenir, seule à seule, avec ma future camériste pour parler chiffons. Veuillez-nous excuser ! » dit-elle amusée, avant de saisir la main de Wolf et foncer dans la mêlée.

Le pas leste, elle s’arrêta nette au beau milieu d’un troupeau de danseurs. Pendu aux bras d’une baronne mal mise, Izaya semblait avoir été traîné de force sur la piste. Il était seulement à trois mètres des deux compères. L’éviter ne serait pas aisé.

Malgré l’urgence de la situation, Olympe ne semblait pas prompte à quitter les lieux.
Extatique, elle posait un regard féroce sur celle qui avait l’outrecuidance de se pavaner aux bras de son amant. La jeune Toile ne put s’empêcher de la jalouser. Cette mégère avait tout le loisir de s’afficher aux bras du Mirage, le dévorant des yeux, alors qu’elle, elle devait user de subterfuges pour y parvenir. Cette cruelle réalité la frappa au visage. Elle ne pourrait jamais aimer au grand jour, ni s’abandonner aux bras de son amant… Qu’est-ce qui distinguait ses sentiments de ce fatras d’illusions, après tout ils n’avaient d’existence tangible qu’à ses yeux ?

Son emprise sur Wolf s’était faite plus ferme, alors qu’elle semblait totalement perdue dans ses pensées. Il fallut que le damoiseau donne de la voix pour qu’elle réagisse enfin et le libère de son emprise, la main légèrement rougie.

« Désolée, je… » Non. Elle ne pouvait clairement lui confier ses plus noirs secrets. Même si elle le savait digne de confiance ! Moins il en saurait, mieux tout le monde se porterait. C’est ainsi qu’elle se ressaisit et chercha une parade.

« M’accorderez-vous cette danse ? »

Les musiciens jouaient à présent un air bien connu d’Arc-en-Terre. Sa mélopée s’empara des jeunes danseurs qui s’exécutaient avec fougue et passion en un ballet parfaitement chorégraphié.

« Comment pourrais-je refuser ? »»

Enjoignant le geste à la parole, il l’invita à danser en la faisant tournoyer sur elle-même. Aussi futile soit-elle, cette simple sensation de légèreté la combla de joie. Olympe adorait danser. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais raté une occasion de s’illustrer sur le parquet de danse. Jamais. Si ce n’est peut-être le soir de l’Illusions-concert d’Izaya. Et pour cause, Céleste avait la danse en horreur. Elle la détestait presque autant que son frère, si bien qu’elle fuyait les salles de bal comme la peste… Elle leurs préférait les comptoirs et petits salons où elle pouvait se laisser aller à son activité de prédilection : le complot et les manigances.
Olympe l’admirait en cela. Sa cousine était capable de décliner une invitation sans ciller, se moquant royalement du "qu’en dira-t-on". C’était d’ailleurs ce qui avait dû séduire Izaya. Cette indifférence à l’égard de tout et des autres.

Olympe aurait tant aimé avoir ne serait-ce qu’un tiers de son audace. Elle aurait pu rabrouer son cousin et l’envoyer sur les roses. Ainsi, rien de tout cela ne serait arrivé. Olympe n’aurait pas eu à croiser Izaya ni cette saleté de baronne. Pas même Wolf.
Wolf. Olympe ne pouvait décemment pas regretter leurs retrouvailles. La Toile se ressaisit aussitôt. Se laissant glisser sur le parquet comme une perle de pluie sur le rebord d’une fenêtre. Alors qu’ils dansaient, Olympe vit les yeux de son ami s’obscurcirent. Olympe ne connaissait que trop bien ce regard pour l’avoir pratiqué de nombreuse fois. Cela ne présageait rien de bon…

L’attirant soudain à lui, son cavalier lui glissa à l’oreille des mots qui lui glacèrent l’âme et le coeur.

« Me croyez-vous stupide ma chère ? Ne croyez vous pas que vos yeux savent reconnaître quand ils sont sur le point de pleurer ? »

Tandis que ses pas marquaient la mesure, son coeur, lui, jouait une toute autre partition. Loin d’Olympe l’idée de se jouer de son ami, toutefois il se risquait à un jeu dangereux. S’immiscer dans la tête de notre ingénue, c’était se confronter au dédale de ses pensées et en affronter toute leur noirceur. Pour sûr, il ne sortirait pas indemne d’un tel voyage. Du moins, pas sans semer derrière lui la destruction et le chaos. C’était lui ou elle. Les yeux ou les oreilles. Que serait-elle prête à sacrifier sur l’autel de l’orgueil ?

Toutefois, l’heure n’était pas encore au sacrifice. Elle pouvait peut-être détourner Wolf de sa course et lui éviter ainsi bien des déconvenues.

« Pleurer, comme tu y vas. J’avais presque oublié ton penchant pour l’emphase.  Une demoiselle ne peut-elle pas être irritée par une poussière sans qu’on la taxe de pleurnicherie ? »

Le regard presque suppliant, elle espérait que Wolf s’arrête là. C’était sans compter sur sa ténacité légendaire…

« Je ne suis pas aveugle Olympe, je ne sais pas ce qu'il se passe entre toi et Izaya, mais rester ainsi en plein milieu de la foule avec un regard rageur, ce n'est pas très fin… »

Son visage se ferma aussitôt ; voilà qu’il se permettait de la juger… Décidément, Olympe allait de déconvenue en déconvenue ce soir.

Elle sentit alors une vague de chaleur montée en elle. Pourquoi diable fallait-il qu’il se mêle de ses histoires et parle d’Izaya ? La colère la consumait à présent toute entière. Si Augustin avait ouvert le gaz, Wolf avait provoqué l’étincelle…
Ce cher Ambassadeur n’avait peut-être pas tort, elle assisterait finalement à un enterrement. Celui de son amitié pour Wolf…

« Toutes mes excuses, j’oubliais que j’avais à faire à un parangon de vertu. » lui souffla-t-elle à l’oreille. Tandis qu’elle s’échappait de ses bras irrévérencieux en une danse parfaitement exécutée. Elle tournait à présent autour du jeune loup, comme une lionne autour de sa proie. Un mot de lui et elle le happerait tout entier.

« Et puis, qu’est-ce qui te fait dire qu’il s’agit d’Izaya ? » son ton s’était fait plus dur qu’à l’habitué, plus assuré, presque arrogant, alors qu’un sourire mauvais lui déformait le visage.

« La Baronne est très en beauté ce soir… Tu ne trouves pas ? »

Soudain enjôleuse, Olympe cherchait à déstabiliser Wolf. La confusion était palpable. Le pauvre Nihiliste ne savait plus sur quel pied danser… Il en oublia presque de marquer la mesure. Soufflant le chaud et le froid, Olympe semait les graines du doute et de la discorde dans son esprit. Et bientôt dans sa vie…

Bienvenue dans mon monde !

L’ivresse de la colère lui montait à la tête. Elle savait qu’elle regretterait son comportement, mais elle regretterait encore plus que le pauvre Wolf ne découvre la vérité à son sujet. La jeune Toile préférait qu’il se heurte à une illusion la concernant, plutôt qu’à une accablante désillusion.

La plupart des yeux étaient à présent rivés sur le jeune couple de danseur. Il faut dire qu’on avait rarement vu une danse d’Arc-en-terre exécutée avec autant d’ardeur et de passion. Toutefois, Olympe n’y prêta guère attention, en oubliant jusqu’à la présence d’Izaya. Elle devait avant tout s’assurer que Wolf n’interférerait pas dans ses affaires. Le détourner d’elle et d’Izaya.

Lui saisissant la nuque d’un geste assuré, ses lèvres étaient à seulement quelques centimètres de son visage et lui soufflèrent « J’ai toujours aimé les femmes de caractère. ».

Elle se mordilla alors la lèvre inférieure tout en virevoltant hors de sa portée. Gonflée par la colère et l’adrénaline, Olympe se sentait puissante. L’effroi et l’envie qu’elle lisait sur les visages alentours ne faisait qu’accentuer ce sentiment.

Je pourrais me faire à cette nouvelle Olympe.

Soudain, une voix gronda dans son esprit. Augustin.

« Bon sang, à quoi tu joues ? Tout le monde te regarde ! »

« Ne suis-je pas la reine de la soirée ?! »

A croire que le personnage de Céleste continuait de l’habiter. Alors qu’elle valsait à présent avec ses illusions et ses doutes, la main puissante de Wolf l’enserra par la taille, la ramenant à sa triste réalité.

« Dis-moi ce qui ne va pas. »

Soudain, la musique se tue. Il n’y avait pas pire moment pour qu’Olympe lui crache ces mots au visage.

« Rien qui te concerne. »

Olympe imita alors ses comparses, gratifiant Wolf d’une révérence. Lorsqu’elle se redressa, elle ne put contenir son désarroi tant la tristesse qu’elle lisait dans le regard de son ami semblait grande. Elle avait assez torturé cette pauvre âme comme ça, il lui fallait décamper et vite. Lorsqu’elle entreprit de partir, elle fut bloquée par un cortège de danseuses. En rang d'oignons, elles battaient la mesure avec grâce, face à leurs partenaires, parées à danser le menuet.

Olympe rentra ainsi dans les rangs, affrontant Wolf. Cependant, elle ne parvenait plus à soutenir son regard. Lorsqu’elle balaya l’assemblée du regard pour confondre ses potentiels cavaliers, elle aperçut Augustin et Izaya. Les bougres n’étaient qu’à quelques couples d’eux… Pourvu que le morceau s’arrête avant qu’elle ait à les confronter. Elle ne devait pas croiser Izaya. Jamais.

❅❅❅

Si elle en avait fini avec lui, Wolf ne semblait pas de cet avis.

« Ha ha ha ! Vous êtes une magnifique danseuse chère Olympe ! Accordez moi encore une danse, par pitié ! Ha ha ha ! »

Avait-elle seulement le choix ? C’est avec un plaisir à peine dissimulé que Wolf saisit sa partenaire pour la faire ondoyer sur le parquet. Il profita de ce rapprochement soudain pour lui glisser à l’oreille :

« Tu as raison, la Baronne est vraiment magnifique ce soir. »

« Tu vois. » Un temps. « Je lui en toucherai quelques mots tout à l’heure ; de notre part à tous les deux. Même si j’ai bien peur que nous finissions sur la touche, il n’y a qu’à voir la façon dont elle dévorait des yeux ce pauvre mirage. Izaya, c’est ça ? »

C’était une façon peu orthodoxe de parler de celui qui hante ses jours et ses nuits, mais soit. Olympe ne pouvait se permettre d’accorder trop d’égard à ce cher Izaya, surtout en présence de Wolf. Elle les savait bons amis et ne voulait pas se trahir et tout compromettre, en étant trop cavalière.

Malgré tout, la jeune Toile s’attendait à ce qu’il s’engouffre dans la brèche. Elle s’était parée à toute éventualité, sauf celle-là. Le regard noir, Wolf fixait sa nuque avec insistance. C’est alors qu’Olympe se remémora ce fameux jour, à la plage, où le petit Wolf lui révéla tout à propos de son étrange pouvoir.

Pour la première fois, Olympe se sentit étrangement seule. Seule et vulnérable.

« Je t'aime Olympe. Tu fais partie des rares personnes que j'aime et, parmi ceux-là, tu es l'une des premières. Sais-tu que je cherche ardemment les personnes dignes d’intérêt au pôle ? Si tant est qu'ils existent. Je les appelle les Perles et toi Olympe, tu es la première. »

Olympe esquissa un sourire en coin. Voilà que Wolf se prenait pour un producteur d’huîtres perlées ; une première. Pourtant, le Pôle n’était pas réputé pour son cheptel de fruits de mer. Les rares points d’eau qu’il possédait n’étaient qu’illusions. Toutefois, pour maintenir les apparences, on  en importait de Séléné.
Olympe garde un souvenir amer de la seule et unique fois où elle due en manger. C’était à l’occasion d’un dîner protocolaire avec l’émissaire du Tartare. Ayant un régime alimentaire des plus strictes, il ne se sustentait que de poissons et de fruits de mer directement importés de Séléné. Afin de garantir la fraîcheur des produits, on n’eut pas d’autre choix que de faire appel aux talents d’Hildegarde pour les raccourcis. Elle relia directement la criée aux cuisines. Malgré tout, les mollusques arrivèrent défraichis et intoxiquèrent l’assemblée.
Depuis, Olympe fuit tout ce qui se rapporte de prêt ou de loin à une huître, perles y compris.

« À trop polir une perle, elle finit par se briser. Alors que si on ne cherche pas à la couvrir d'illusions, elle est libre de briller, seule devant le ciel, comme elle le devrait. Et toi ma chère Olympe, tu es à deux doigts de te briser. Je vois au delà de toutes ces illusions. Je vois plus loin. Je vois la beauté brute de la perle. Et je ne compte pas laisser se briser ma première amie, peut-être la personne qui compte le plus à mes yeux juste parce qu'elle boude. »

Bouder, c’était la meilleure. Voilà qu’il l’infantilisait. Depuis quand Wolf jouait les moralisateurs avec elle ? Si elle savait qu’il agissait par pure bonté d’âme ; cela avait tout de même le don de l’agacer. C’était d’ailleurs peut-être son intention ?
En bonne petite dernière, Olympe avait toujours été infantilisée par sa famille. D’abord ses parents, puis ses frères et pour finir Augustin. Le jeune Nihiliste appuyait sur sa corde sensible, c’était bas. Même venant de sa part. Toutefois, Olympe ne se laissa pas abattre.

« Monsieur, j’ai bien peur qu’on vous ait dupé. Il n’y a pas de perle ici… Rien que de la pierre. Ni précieuse, ni rare… De la pierre ordinaire que le temps a pris soin d’aiguiser. Je serai vous, je la manipulerai avec précaution, elle est peut-être tranchante.»

Aussi tranchante que ses mots, sa diction ne laissait pas de place au doute. Il s’agissait là d’un avertissement. Pour lui, un peu, mais surtout pour elle. Son coeur se transformait peu à un peu en un vulgaire rocher prêt à tout écraser. Elle en profita pour jeter une oeillade alentour. Izaya s’exécutait toujours. Il avait troqué sa cavalière contre une autre, plus jeune et plus belle encore.

Le regard soudain triste, elle se concentra pour l’écouter. Encore.

« Tu veux peut-être arrêter d'êtres mes oreilles, c'est très bien, je m'en fiche. Mais je ne suis pas prêt à arrêter d'être tes yeux Olympe. Je sais très bien que si tu te trouves ici depuis quelques jours et pas au Gynécée, ce n'est pas pour le plaisir de voir ton adorable cousin se pavaner à une fête qu'il est supposé avoir organisé pour toi. Les murs ont des oreilles Olympe, et parfois même des yeux. Et je fais en sorte qu'au moins un des miens y trouve sa place. »

C’est alors qu’il la saisit, plus fort encore, comme pour parachever son discours d’une étreinte. Déboussolée, Olympe ne savait trop comment réagir. Devait-elle lui rendre la pareille ?
Quand bien même elle l’aurait voulu, le jeune loup l’enserrait de sorte à rendre tout mouvement impossible. Sans doute avait-il du redouter sa réaction.

« Une perle ne devrait pas avoir à verser du sang… »

Le temps semblait s’étirer. Plus le silence qui s’immisçait entre eux, plus Olympe avait l’impression de le perdre. De se perdre.

« Tu me fatigues à la fin avec ton histoire de perle. L’image est belle, je ne dis pas… Mais je ne suis plus la petite fille frêle et innocente qu’il te faut protéger. Tu l’as dit toi-même, j’ai appris à m’adapter. » Un temps. « Pour survivre à Mona, d’abord. Puis à tous les autres. »

As-tu seulement une petite idée de tout ce par quoi j’ai dû passer ?

« Penses-tu vraiment que j’en suis à mes premières menaces ?» Un temps. « Si oui, tu es bien naïf. Je ne compte plus le nombre de fois où l’on a promis de m’occire pour avoir eu le malheur d’être choisie par Farouk, de poser mes yeux où il ne fallait pas ou encore d'être venue au monde… »

Un temps.

« Et regarde-moi, je suis toujours là. »

Oui, mais à quel prix ? Les rares illusions, dont s’était parée la belle, n’étaient là que pour masquer les signes d’angoisse et de fatigue. Voilà des jours qu’elle peinait à trouver le sommeil. Sa consommation de sablier avait triplée. Bientôt, il lui faudrait rendre des comptes.

« Je ne dis pas que c’est facile tous les jours. Sinon, je ne serais pas là à supporter tout ce cirque… Mais je n’ai pas à me plaindre non plus. J’ai un toit, une famille, une position enviable, je mange à ma faim… Bon nombre d’enfants de Farouk ne peuvent pas en dire autant. Nous sommes des privilégiés, tâchons de ne pas l’oublier. »

Un sourire sans joie se dessina sur son visage angélique. Il étirait ses traits de sorte à faire ressortir les marqueurs du temps. Un temps qui aurait bientôt raison d’elle…

Elle jouait avec le feu et ce jeu avait déjà trop duré. Elle se sentait lasse de tout : Farouk, Augustin, le Pôle, cette comédie inhumaine… Ils voulaient sa peau, très bien. Elle ne valait plus grand-chose de toute façon.

« Car lorsque ce jour arrivera - et il arrivera - le peuple ne se fera pas prier pour nous le rappeler. »

Elle avait dit ça pour Wolf, mais surtout pour elle. Cela faisait du bien de pouvoir enfin exprimer ce qu’elle avait sur le coeur…