<Désillusion> Feat Jess'

Les effluves d’alcool serpentaient le long des colonnes de marbres qui soutenaient la voûte étincelante d’une des nombreuses salles de l’ambassade. Meï soupçonnait les rayons du soleil qui déversaient leur lumière sur les convives d’être factice. Après tout, on était au rez-de-chaussée d’une tour. La logique la plus élémentaire ne serait pas donné la peine d’expliquer pourquoi il était impossible pour le soleil d’éclairer cet endroit. Mais la logique n’avait pas ses entrées à la cour, alors que le soleil, lui, était bien là.

Meï savait que ce n’était rien de plus qu’une illusion, mais cela paraissait tellement réel que s’en était effrayant. Ses sens pouvaient être si facilement trompé par leurs tours de passe-passe… Elle n’aimait pas l’idée d’être embarquée parmi eux, mais il lui fallait bien assurer sa subsistance, et lorsqu’un Mirage l’avait sollicité pour sa réception, elle avait sauté sur l’occasion. Avec un petit malaise, elle laissa ses yeux parcourir la foule d’aristocrates rassemblés en l’occasion de la réception de Sir Romuald. Rassemblés. Oui, aucun autre mot ne pouvait mieux convenir. Elle détourna le regard, gênée, de tous ses couples enlacés qui ne cherchaient même plus l’ombre des alcôves. C’est donc ainsi que les nobles aimaient à passer le temps ? S’ils ne s’adonnaient pas aux jeux, ils pratiquaient toutes sortes d’activités immorales qui portaient atteintes à la pudeur. Ils n’avaient vraiment aucune manière. Et ça se prétendait de la haute société… Si sa famille voyait ça, ils la rapatrieraient sur Anima sans plus de cérémonie, avant de lui coller un chaperon par peur que les mœurs du Pôle n’aient déteint sur elle.

Une vive douleur transperça son cœur de mille éclats de verre. Sa famille. Pendant un doux instant, elle avait oublié qu’ils n’étaient plus de ce monde. Comme c’était agréable, d’oublier. Elle aurait voulu être comme les esprits de famille, que le temps coula sur elle sans lui laisser d’entailles, d’aussi vifs et profonds souvenirs.
Elle ne pouvait pas essorer sa tristesse gorgée de larmes. Alors elle pleura de l’intérieur, seule avec sa peine.  

-Madame la Marquise d’Anima, je vous prie.

La voix mielleuse la tira de son puits de chagrin. Mais voir un noble employer le titre qu’elle s’était inventé ne la fit pas sourire. Un haut de forme aux plumes extravagantes, les sourcils et la longue chevelure teints en bleu, le teint exagérément poudré, le nobliau semblait attendre quelque chose.

Alors elle fit l’effort de sourire :

-Je suppose que vous voulez que je vous serve une part de cette pièce montée à la crème pralinée et aux éclats de cacao ? C’est comme si c’était fait !

Bien qu’elle eût toujours les yeux embrumés, elle se dirigea vers son gâteau à 6 étages préparé pour l’occasion. Elle coupa tant bien que mal une part à peu près symétrique, la plaça sur une assiette en carton qu’elle tendit au bonhomme endimanché. Mais c’était sans compter l’assiette, contaminée par la profonde tristesse de l’animiste, qui décida tout d’un coup d’être prise d’un sursaut. La malheureuse part de tarte s’envola avant de trouver une bien triste destination : le visage du noble, qui s’étouffa d’indignation, pensant surement que c’était intentionnel. Meï eut beau se confondre en excuse, elle ne put s’empêcher de laisser échapper un gloussement. Le pauvre bougre s’était figé, avant de s’en aller en se drapant dans ce qu’il lui restait de dignité. L’assiette s’était mise à tourner sur elle-même comme une toupie. Même les volants de la robe que Meï avait porté pour l’occasion commençaient à se soulever légèrement. Trop occupée à essayer de les remettre en place, leur enjoignant de rester calme, elle ne vit pas le groupe de Mirage la fixer d’un air menaçant, elle ne vit pas leur mouvements, pas plus qu’elle ne vit son buffet préparé avec soin se transformer sous les yeux de tous les invités qui assistaient à la scène sans réagir.