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C’était une drôle de matinée, assurément. Le soleil s’était levé comme tous les autres jours sur l’Ambassade du Clairdelune ; le thé était aussi sucré que d’ordinaire ; les biscuits aussi secs qu’à leur habitude. Pourtant, quelque chose dans l’air était légèrement différent.
Ce matin alors, le soleil semblait briller un peu moins fort ; le thé semblait un peu plus fade ; les biscuits encore plus secs. Le petit déjeuner de l’ambassadeur s’en trouva tout troublé, et en conséquent, son humeur également.
Toute cette histoire de rumeurs commençait sérieusement à lui courir sur le haricot. Ce n’était pas qu’Augustin n’avait pas l’habitude des on-dit plein d’infamie. Mais cette fois, c’était…
différent. Les idiots qui avaient décidé de lancer cette affreuse affaire avaient frappé plus fort. En balafrant les murs de la Citacielle de leurs affichettes honteuses, ils lui avaient déclaré la guerre. C’était une chose de murmurer de fausses rumeurs, s’en était une autre de faire campagne publique.
Et s’il y avait bien une chose qu’Augustin ne pouvait supporter, c’était bien que l’on se moque de lui si ouvertement.
Fort heureusement pour lui, l’histoire n’était point encore montée aux oreilles de Farouk ; et il se gardait bien d’aller le lui dire lui-même. Il en faisait une affaire personnelle, et il préférait tenir l’Esprit de famille éloignée de celle-ci le plus longtemps possible – bien qu’il se doutait qu’il s’y trouverait mêlé tôt ou tard si l’affaire venait à s’envenimer.
Excédé, l’ambassadeur avait décidé d’aller réfléchir plus tranquillement à tout ce bazar, sans personne pour l’embêter. Et pour se faire, il n’avait fait rien de moins que de réserver les Thermes pour lui tout seul.
C’était certes un peu excessif, mais à circonstances exceptionnelles…
Augustin termina d’engloutir son petit-déjeuner ; non sans tacher sa légère chemise de lin, prévue expressément pour les Thermes. Il ne pesta pas, ne tenta même pas d’essuyer la confiture rouge qui coulait doucement sur le beige de son vêtement. Il ne prêtait d’ordinaire déjà que très peu attention à ses tenues et à leur propreté ; mais avec cette histoire qui lui tracassait l’esprit, c’était pire encore.
Il quitta l’Ambassade tel quel, prit la direction de l’Ascenseur privé du Clairdelune, et monta au troisième étage de la Tour Principale. Il vit très bien le valet d’étage qui louchait sur sa tâche de confiture ; il ne put s’empêcher d’esquisser un vague sourire désabusé.
Les Thermes étaient extraordinairement calmes. Il n’y avait pas un chat aux alentours, si ce n’était le personnel et les gendarmes déplacés tout spécialement pour l’occasion.
Un domestique s’approcha de l’Ambassadeur d’un pas pressé ; il arriva à sa hauteur tout essoufflé, ce qui ne fit que d’avantage étirer le sourire d’Augustin. Bien malgré lui, il ne pouvait s’empêcher d’apprécier d’être traité comme Farouk lui-même.
- Mon… Monsieur l’Ambassadeur, bonjour ! crachota le pauvre domestique, tout rouge de sueur.
Pa… Pardonnez mon retard. C’est qu’on a eu quelques… Soucis à tranquilliser les lieux. Ce… n’était pas de l’avis de tout le monde, sans porter aucun jugement, bien entendu. - Oui oui, et bien qu’ils râlent, qu’ils protestent. Ce n’est pas mon problème si personne sur cette fichue Arche n’est capable d’être discipliné ; ce n’est assurément pas la vôtre non plus. Habitué aux propos peu conventionnels d’Augustin, le domestique ne réagit même pas. Il se contenta de lui répondre par un sourire poli, et le conduit à la Salle des Bains Principale.
A peine entrouvrit-il la porte qu’une bouffée de fumée chaude, aux senteurs épicées enivrantes, s’échappa de la pièce, ne laissant présager qu’une bonne relaxation.
- Profitez bien, Monsieur.Le domestique referma la porte derrière l’Ambassadeur après une dernière courbette.
Augustin s’approchait de l’immense bassin central, lorsqu’il
le sentit. Un des membres de la Toile tentait d’entrer en connexion avec lui. Le jeune homme laissa la porte de son esprit s’ouvrir, laissant le flux de pensées qui n’était pas le sien l’envahir.
- Mon cher Augustin, un de mes amis Nihilistes se trouvait plus tôt aux Thermes, avant de s’y faire chasser comme un malpropre. Même s’il était exagérément vexé, il m’a tout de même chargé de te prévenir. Il y a vu un Invisible. Il ne saurait dire s’il a quitté les lieux ou non, mais quoiqu’il en soit, il se servait de son pouvoir. Soit prudent.
- Je te remercie, cousin.La discussion mentale entre les deux hommes cessa aussi brusquement qu’elle avait commencé.
Sachant tout à fait que cela ne servait à rien, Augustin ne put s’empêcher de jeter un œil aux alentours ; sans y voir personne, bien sûr.
Suspicieux, il retira tout de même ses vêtements, enfila un pagne, et se glissa dans l’eau chaude du bassin, un sourire en coin. Il prit tout le temps du monde, au cas où l’Invisible se trouverait dans la pièce. Il espérait bien l’embarrasser si tel était le cas.
Barbotant tranquillement, laissant son corps tendu se détendre, il se résolut enfin à tenter sa chance :
- Montre toi, je te prie.Si on lui répondait, il n’avait plus qu’à dire adieu à sa seule matinée de détente depuis un long moment.
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