He created so much mirages he became one himself — Il avait toujours été l’enfant qui pleure peu, l’enfant qui crie peu. L’enfant qui rit peu, aussi.

Il n’avait jamais non plus été très bavard. Il approuvait ou désapprouvait à grand renfort d’hochements de tête. Mais jamais de grands discours, de grandes démonstrations de joie ou de peine. C’était l’enfant silencieux, l’enfant sage.

L’enfant terriblement renfermé sur lui-même, mais incapable de s’ouvrir d’avantage.

Il n’aurait su dire s’il s’était toujours senti différent, mais d’aussi loin qu’il pouvait se le remémorer, il ne s’était jamais senti à sa place.

Ce n’était pas que son physique était différent ; ce n’était pas non plus du à son Don, qu’il avait développé normalement comme tout jeune Mirage de son âge. Non, c’était bien plus que cela.

C’était un mal-être profond, viscéral et inconnu, qui lui tordait doucereusement les entrailles : sans brutalité, mais assez pour qu’il comprenne qu’il ne s’appartenait pas. Il était la proie d’une pensée plus grande que lui-même, une pensée qui ne cessait jamais de le hanter :

« Je ne suis pas à ma place. »

Et le serait-il jamais ?

Ce n’était pas qu’il ne ressentait rien, bien au contraire. Il ressentait tout, beaucoup trop fort. Toutes ses émotions étaient bien trop douloureuses, bien trop puissantes ; il ne se sentait capable de les exprimer ni par les cris, ni par les larmes, ni par les mots.
Alors il ne disait rien, mais il pensait. Sans arrêt, sans jamais accorder le moindre répit à son cerveau et à son âme.

Etant petit, tout ceci n’avait jamais été un frein à son intégration. Il jouait avec ses cousins et cousines Mirages, et passait de formidables après-midi au Clair-de-lune, courant dans les jardins, s’amusant tantôt à jouer au chat, tantôt au loup.

Mais avec l’adolescence, vinrent les problèmes. Il ne pouvait plus simplement courir après les autres enfants ; les jeux insouciants avaient depuis longtemps cessé d’être intéressants. C’était l’heure des premières véritables amitiés, des soirées mondaines où il faut bien présenter, et des premières amourettes.

Il n’en fut jamais capable, et c’est ainsi qu’il commença à se perdre.

Incapable d’exprimer le fond de sa pensée avec de simples mots, il se renferma d’avantage encore ; et en conséquent, il s’isola. Du moins, pas en apparence. En apparence, il était un jeune homme charmant, aisé quand il s’agissait d’entretenir une délicieuse discussion avec ses comparses aristocrates. En apparence, même avant ses quinze ans, il se taillait une place de choix à la Cour.

Mais en vérité, il n’était qu’un miroir, le reflet d’une ombre sur une eau trouble. Il ne se confiait jamais, ne s’exprimait jamais. Lentement, mais surement, il en vint à haïr ce jeu de courbettes où il n’était qu’un mensonge, qu’une image. Qu’un mirage.
Il ne disait rien de profond à personne ; et personne ne parvenait à tirer la moindre réflexion profonde venant de lui.

Pourtant, envers et contre tout, il trouva le moyen d’exprimer ses émotions. En grandissant, il avait toujours prouvé un certain talent pour les illusions musicales. Si au début elles n’étaient qu’un passe-temps, très vite il commença à passer toujours plus d’heures à perfectionner ses créations.

Comme un second langage, la musique accueillait ses pensées, les absorbait, se les appropriait pour mieux les faire suinter à chacune de ses notes.

Presque inconsciemment, ses Illusions devinrent un buvard, le papier sur lequel il pouvait coucher tous ses sentiments que la parole n’avait jamais pu exprimer. Les violons, les basses et les flûtes retentissaient aussi fort que le tumulte fracassant des émotions dans son crâne.

Le succès frappa à sa porte avant même sa seizième année. Ses Illusions musicales, si vives, si prenantes, plaisaient au public. Il les diffusa d’abord à l’aide de petites boites à musiques ; elles se vendaient dans la Citacielle à vitesse folle, divertissant les nobles dans leurs demeures.

Puis il eut une idée. Celle de faire entendre ses mots muets dans toutes les soirées auxquelles il était convié ; et ainsi naquirent les Illusions-Concerts.

Ambiante, sans plus de support, elle sonnait parfaitement bien à tous les recoins de la pièce dans laquelle l’illusion était exécutée. Son Don, habilement maîtrisé, fit de ses créations un véritable bijou que les Aristocrates s’arrachèrent : tous voulaient Izaya à leur soirée mondaine, prêt à faire retentir la puissance de sa musique.

Mais à force de créer toujours plus d’Illusions, elles finirent par devenir une obsession dévorante.

La moindre de ses émotions était immédiatement transformée en notes ; et bientôt, il en oublia d’exister pour lui-même. Il était redevenu un miroir, le reflet d'un ombre sur une eau trouble.

Il n’était plus que le vaisseau vide par lequel transitaient ses pensées avant de devenir partition.


Et à force d’illusions, il finit par en devenir une lui-même.