Letter in the Dark ft. Jess

Une lettre, grossièrement glissée dans l'embrasure de sa porte. Il ne l'a vu qu'en rentrant de l'Ambassade, alors qu'il posait sa veste de gros cuir sur le dossier d'une chaise. Ses yeux bleus d'abord, inspectent le nom inscrit dessus - c'est bien le sien - et le papier - grossier, de médiocre facture - avant de renifler la lettre - aucune trace de poison.
Ce n'est pas la première lettre glissée ainsi et une fois sa vérification terminée Ezhekiel la saisit, délicatement pour ne pas la déchirer. Il l'inspecte de plus prêt, sous la lumière de la bougie qu'il vient d'allumer. Il y a une légère odeur de propre mais il n'est pas Olfactif alors il ne parvient pas à l'identifier plus précisément.
Enfin, il l'ouvre.
L'écriture est ronde et féminine mais sans fioriture ou calligraphie propre à la noblesse.
Le contenu ? Assez court et sibyllin sur un rendez-vous mystérieux et secret dans les bas quartiers, plus tard dans la nuit. Cela ressemble au début d'un roman d'enquête.
Ezhekiel sourit : sa curiosité bouillonne.

La carte des bas quartiers étalée sur une table, ses yeux bleus la parcourant : une analyse du terrain.
Des coups de téléphones, des menaces couvertes de miel doucereux : un service dû.
Ezhekiel est prêt.

La veste retourne sur les épaules de son propriétaire qui s'engouffre dans les rues de la Citacielle. Le pas tranquille et désinvolte, il prend le temps de s'allumer une cigarette qu'il savoure en laissant traîner son regard et ses oreilles alentours.
Il est en avance, bien évidemment ; histoire de repérer le lieu de rendez-vous, les échappatoires possibles et les coins d'ombres propices à la dissimulation.

Il ne les voit pas mais il sait qu'ils sont là : un groupe de redoutables mercenaires, mortellement bon viseurs, dissimulés sur les toits et dans les baraques condamnées du quartier délabré. Ils n'aiment pas travailler sans défi d'envergure, et l'auteur de la lettre n'en est sûrement pas un pour eux. Mais Ezhekiel est prudent, extrêmement prudent ; c'est ce qui lui permet d'être toujours en vie.

Adossé contre un mur, il allume une nouvelle cigarette : la première bouffée peint une expression de pur délice sur ses traits harmonieux puis son esprit se remet en route, comme boosté.
Il a des soupçons sur la nature du mystérieux auteur. Ou plutôt, la mystérieuse Sans-Pouvoir qui lui a donné rendez-vous dans cette ruelle sombre.
Mais aucune idée de son identité et de ses motivations et ça, c'est ce qui l'excite.

Les passants sont rares dans ces rues misérables et la jeune femme approchant, le pas hésitant, peut difficilement passer inaperçue. Ezhekiel ne la quitte pas du regard alors qu'elle approche et il sait, sans aucun doute possible, que c'est elle l'auteur mystérieux. L'écriture correspond à cette silhouette gracile à la démarche flottante. Elle arrive à son niveau et plusieurs secondes s'écoulent avant qu'elle ne le repère dans les ombres. Il a tout le temps d'observer son joli visage encadré par une cascade d'or. Une Sans-Pouvoir, aucun doute possible, et ses atours crient "domestique".
Enfin son regard bleus-gris trouve le sien, brillant au cœur des ombres.
Le silence qui s'étend. Il reste silencieux, ne la brusque pas, un léger sourire au coin des lèvres. Le Chroniqueur en profite pour graver chaque trait de l'inconnue, l'ajoutant à son Palais Mémoriel.
Enfin, elle parle.
Ezhekiel souffle la dernière bouffée de sa cigarette, légèrement à côté de son interlocuteur et lâche le mégot par terre.

« C'est bien moi, de sa voix pleine de miel.»

D'un geste élégant il saisit la main délicate de l'inconnue et ses lèvres ourlées y déposent un baiser aussi léger qu'une aile de papillon. Il se redresse, le sourire charmeur.

« Et qui est donc la délicieuse créature à l'origine de ce mystérieux rendez-vous ? »

Timide la Mystérieuse Inconnue et les yeux bleus perçants ne manquent pas le rose teintant ses charmantes joues avant qu'elle ne les dissimule derrière sa cascade d'or.
Son sourire se teinte d'une légère courbe taquine alors qu'il range ses mains dans les poches de son blouson de gros cuir.

« Belle Inconnue ce sera donc. »

Il aime ce mystère, émoustillé par la fermeté frêle de la jeune femme. Excité à l'idée de fouiner et percer son armure de secrets... Mais chaque chose en son temps.
Elle reprend la parole et Ezhekiel hausse nonchalamment les épaules :

« Comme tout le monde. Il m'arrive assez peu d'être invité dans un tel lieu pour prendre le thé. Bien que j'aurais adoré partager ce genre de moment avec vous. »

Sourire en coin et regard par dessous ses longs cils noirs.

« Vous devez savoir que je ne fais rien gratuitement. Qu'est-ce qu'il vous faut ma Belle Inconnue ? »

C'est qu'elle mordrait presque la frêle Inconnue. Bien loin de le démonter, la taquinerie vient ourler les lèvres pleines d'Ezhekiel.
Un sourcil se hausse à l'écoute attentive de sa requête. Il se hausse encore un peu devant ses jolis yeux brillants de larmes refoulées.
Affaire personnelle et importante : le prix peut facilement grimper afin de profiter de la situation.
Le regard déterminé de la frêle Inconnue fait sourire le Chroniqueur qui susurre, doucereux cette fois :

« Je suis peut-être un excellent enquêteur, sûrement le meilleur du Pôle, mais je ne suis pas omniscient : pour investiguer sur votre sœur assassinée il va me falloir plus "Belle Inconnue", vous comprenez j'en suis sûr. »

La raillerie se glisse dans ses mots :

« Et comment une petite domestique compte-t-elle se payer mes services ? »

Le jeune homme n'accepte pas le paiement en nature et c'est très sûrement le seul que la Sans-Pouvoir peut se permettre.

Parfaitement silencieux, le Chroniqueur écoute et enregistre chaque mot de la domestique. Chaque intonation et frémissement qui ponctue son récit. Chaque silence est respecté et il hésite un instant à lui tendre un mouchoir de joli tissu mais s'en abstient pour ne pas la couper dans son élan qu'il devine douloureux. Même son sourire à déserté ses lèvres ourlées.
Il attend jusqu'au bout, et lorsque la Belle Inconnue termine son récit par son offre de paiement, Ezhekiel revêt de nouveau son sourire narquois.

« Tout dépend de l'information que vous me proposez. Un tel travail d'enquête ne peut se contenter de simples ragots de domestique en guise de paiement, vous en conviendrez. »

Un haussement d'épaules nonchalant et une main qui balaye négligemment l'air.
Puis le sourire devient celui d'un prédateur, une hyène ou un chacal comme dans les livres de l'Ancien Monde.

« Je suis navré de contrarier votre aura mystérieuse mais il va me falloir votre nom, celui de vos parents, de votre sœur et la date exacte de son assassinat. Des meurtres il y en a souvent sur notre charmante Arche, il faut que je sache où chercher. »

Un silence tendu. Les deux protagonistes s'affrontent du regard, l'une pleine de méfiance et de doutes mais aussi d'une grande détermination ; l'autre nonchalant et confiant.
Finalement elle cède - sage et seule décision sensée - et tend une enveloppe du même papier modeste que la lettre donnant rendez-vous au Chroniqueur. Celui-ci la saisit et l'ouvre aussitôt pour en inspecter le contenu, un sourcil haussé.
Cette Belle Inconnue est décidément bien naïve, de consigner de telles informations sur papier : il est si aisé de dérober une simple enveloppe. Il s'étonne qu'elle ait pu survivre si longtemps au Pôle avec une telle candeur ; son rang de domestique a dû la sauvegarder de la majeur partie des complots, même si cette caste est souvent sacrifiée comme chair à canon des nobles.
Ezhekiel n'a pas encore terminé de lire tous les noms et toutes les dates que la jeune domestique le salue et fait mine de s'en aller. Il lance :

« Si vous partez maintenant je ne mènerez pas l'enquête : je prends la moitié du paiement avant et le reste lorsque le travail est terminé. »

Un regard à l'enveloppe qu'il agite et il ajoute, sourire au coin des lèvres :

« En revanche je garderai l'enveloppe, comme dédommagement pour le déplacement, c'est bien le minimum. »

Et la-dite enveloppe disparaît dans les plis de son grand manteau de cuir grossier. Un haussement d'épaules nonchalant et un sourire narquois en faisant mine de lui aussi s'en aller.
Si elle voulait vraiment connaître l'assassin de sa sœur, la Belle Inconnue devra le retenir et si non : et bien il pourra enquêter sur elle. Contrairement à la majorité des habitants de l'Arche, le Chroniqueur trouve les domestiques tout aussi intéressants que les nobles ; leur potentiel d'informations est phénoménal.

La domestique se montre digne de son rang et offre une information fort intéressante et croustillante au noble qui n'en laisse rien paraître, affichant un air nonchalant limite blasé en l'écoutant. Elle vient, sans le savoir, de mettre en lumière un grand pan d'une histoire à laquelle il a directement participé et touchant une personne très proche - et chère - Izaya.
Ce n'est qu'intérieur, mais Ezhekiel sourit, pareil à une hyène, carnassier, rieur et narquois à la fois.
Il s'en frotte presque les mains en imaginant tout le potentiel dramatique qu'il tient entre ses doigts. Va-t-il susurrer à Olympe qu'il connait son secret pour la faire chanter ? Une seconde d'hésitation à la pensé d'Izaya mais non, il ne le lui dira pas, le laissant gérer son histoire avec la favorite qu'il croit être Céleste. Mais le Chroniqueur sera aux premières loges lorsque toute cette situation explosera.
Un battement de cils le ramène à l'instant présent et son sourire se fait charmant alors que le noble s'incline bien bas devant la domestique.
Il saisit sa main et y dépose un baiser aussi léger que les ailes d'un papillons avant de susurrer :

« Je vous informerez de mon avancée dans l'enquête. Ne vous en faîtes pas, je saurais comment vous trouver. »

Et un clin d’œil aussi charmant qu'inquiétant avant qu'il ne fasse demi-tour et s'éloigne, allumant une cigarette et mettant l'autre main dans une poche de son manteau de gros cuir.